C’est peut-être en fréquentant la Loire que Jacques Robin a forgé son caractère, si bien trempé. Deux yeux perçants sous sa casquette de marinier, la mémoire du fleuve n’a rien perdu de sa vivacité : Vent d’Travers est un livre d’histoires. Des histoires de Loire.
Il naît presque sur le fleuve, au pied du château d’Amboise, il y a 81 ans. « J’ai toujours été pêcher sur la Loire avec mon père. » Le dimanche, le jeune Jacques sèche le catéchisme et file récupérer sa canne, cachée dans les roseaux. « À 14 ans, un pêcheur de Montsoreau m’a donné son vieux bateau, à l’arrière pourri. Je l’ai coupé en deux et lui ai refait un cul avec de grandes planches. » C’est la première embarcation d’une longue lignée signée Jacques Robin. Après l’école, il opte pour un apprentissage
de pâtissier le jour. Et de pêcheur de Loire, dont il est déjà tombé amoureux, la nuit. Pendant longtemps, il navigue entre sable et farine. Il en garde une excellente recette d’omelette norvégienne et une connaissance intarissable du fleuve.
Découvrir le fleuve sauvage
Basée à Saint-Mathurin-sur-Loire, Loire Odyssée (ex-Maison de Loire en Anjou) propose, depuis 30 ans, aux Ligériens de (re)découvrir leur fleuve. Sur terre, l’association permet d’appréhender la faune, la flore et toutes les subtilités de la Loire lors d’une visite de son exposition. Sur l’eau, elle vous embarque à bord de ses bateaux de Loire, pour une croisière découverte, ornithologique, œnologique ou romantique à la tombée de la nuit.
Une dame capricieuse
Au cours des années 1980, à la demande du comité des fêtes de Saint-Hilaire-Saint-Florent, où Vent d’Travers et son épouse Marie-Jeanne résident toujours, il construit le « Pascal-Carole », en clin d’œil à ses enfants : une gabare de 25 mètres de long, à bord de laquelle il monte à Paris, navigue de Roanne jusqu’à Saint-Nazaire, emprunte le canal de Nantes à Brest. Dès lors, Jacques Robin est « débauché » par la Ville de Saumur pour devenir « Monsieur Loire » : il fait découvrir le fleuve aux passagers de sa gabare. « Je suis fier de leur avoir montré comment ça se passe. »
Cette dame capricieuse qu’est la Loire, il a appris à faire sa connaissance au fil du temps et de l’eau, parfois à ses dépens.
Comme lors de ce fameux épisode qui lui a offert son surnom. « Un jour, la mairie me demande de remonter un chaland jusqu’à Chinon. On baisse la voile pour passer sous le pont de fer de Saumur et voilà qu’arrive un grain blanc : du vent, de l’eau, du soleil, tout ! Le vent a tourné et je ne savais plus quoi faire avec ma voile carrée. C’était le vent de travers. » Voilà Jacques Robin rebaptisé.
Vent d’Travers s’est depuis habitué à « lire » sur la Loire : « Il faut faire attention quand on navigue sur le fleuve : la surface de l’eau, la hauteur des vaguelettes indiquent ce qu’il y a en dessous. »
Avec son air renfrogné, le marinier poursuit : « La Loire n’est pas dangereuse : ce sont les gens qui sont dessus qui le sont ! Il faut être humble quand on navigue. »
Anguilles et silures
Vent d’Travers évoque le passé - « dans l’temps » -, soupire face à la disparition des anguilles et à la multiplication des silures au fond de l’eau, et déplore que l’on ait « transformé la Loire en une gouttière qui a trop de pente et qui se vide de son sable ». Il aimerait que, désormais, « on la laisse tranquille ».
Entre ses parties de pêche quotidiennes, une fameuse « engueulade » avec Jack Lang et les brochets au beurre blanc partagés avec le voisin Claude Chabrol, quand le cinéaste habitait Gennes, Jacques Robin déborde d’anecdotes. Soudain, il récite un de ses poèmes, comme un chérubin au tableau : « un peu de la Loire coule dans mes veines ».
Depuis que le marinier a pris sa retraite, le « Pascal-Carole » s’abîme tristement, à sec sur les bords du fleuve. Vent d’Travers pêche désormais sur un « petit diesel de dix mètres » qu’il a baptisé « Héloïse-Alysée », du nom de ses petites-filles. Comme pour guider la Loire vers l’avenir.