Portrait publié dans le Maine&Loire magazine de mai 2019
« J’ai craqué, cet endroit est dingue ! » Un an après avoir acquis La Cabane Bambou, à Juigné-sur-Loire, Laurent Thibault n’en finit pas de s’extasier sur cette ancienne adresse des nuits angevines. « Je cherchais une maison en bord de Loire et je suis tombé ici un jour de pluie, dans un froid de canard, toutes les idées que je porte depuis 15 ou 20 ans peuvent y prendre corps », s’enthousiasme t-il. L’homme veut en faire un temple du son, à l’issue d’un gargantuesque projet de réhabilitation. Un lieu inédit à l’avant-garde de la production et de la diffusion musicales.
La vie de Château
En s’appuyant sur son réseau, ses expériences et recherches depuis un demi-siècle, Laurent Thibault veut voir grand. À la fois pédagogique, professionnel, expérimental, transversal, le Château sur la Loire – c’est le nom du projet – entend fédérer un très large réseau pour découvrir et développer des artistes, travailler avec eux en profondeur, sur un temps long. Laurent Thibault s’est associé à deux locaux, Bruno Bouchet et Nicolas Bréjeon, pour faire grandir le projet. « L’idée est celle d’un nouvel essor musical en France, en rééduquant les gens au son : travailler avec ses oreilles et cesser de se faire piéger par la simplicité des applications sur ordinateur. » Sessions de répétition et d’enregistrement, éditing, formations, masterclass, concerts, Le Château sera tout cela à la fois, dans une démarche qui ne se veut pas commerciale.
« Il s’agit de transmettre une expérience construite depuis 50 ans de réussites, mais aussi de difficultés », résume Laurent Thibault. Le tout est dit avec la tranquille assurance d’un homme de 70 ans passés, mais dont le regard espiègle trahit le feu intérieur.
Une passion intacte
« Mon ami musicien Christian Vander aime à dire que nous sommes des intacts. Depuis nos 17 ans, nous n’avons pas changé, toujours prêts à démarrer au quart de tour… » Des « intacts » qui ont fondé, il y a un demi-siècle, un des groupes les plus mythiques de la scène internationale : Magma. Une formation iconoclaste à nulle autre pareille, inventive, en recherche perpétuelle de sons. Plurielle. Comme le parcours de Laurent Thibault, en somme. Né au lendemain de la Seconde Guerre mondiale d’un papa industriel, belge et résistant mort avant sa naissance, Laurent grandit avec sa mère, sa grand-mère et sa soeur aînée « dans une rue mal famée de Paris, la rue de Ponthieu. Ma mère était chanteuse de cabaret. Elle partageait l’affiche avec Les Frères Jacques et un jeune artiste belge, ami de mon père : Raymond Devos ». La suite, c’est un premier groupe en tant que bassiste, l’entrée en sociologie à Nanterre, Mai 68, la création de Zorgones, dont l’unique 45 tours est produit par Lee Hallyday (l’oncle de), puis Magma.
Opiniâtre et exigeant
Nous sommes à l’aube des années 1970. Laurent Thibault devient « international label manager » chez Barclay, passe chez Philips où il crée le label Thélème et reprend en location-gérance, en 1974, le studio du château d’Hérouville, dans le Val-d’Oise. La crème des artistes s’y presse, jusqu’en 1985 : Alain Kan, David Bowie, Iggy Pop, Jacques Higelin, Ritchie Blackmore, The Bee Gees, Tom Jones, Marvin Gaye. Tous confient leurs projets à Laurent, tout à la fois bassiste, ingénieur du son ou producteur. « J’apprenais aussi de tous. On pouvait mettre plusieurs jours à régler une batterie, à trouver un son. On cherchait… » L’exploration du son, toujours, qui le poussera à créer le premier studio mobile français, puis un nouveau studio, Couleurs, jusqu’en 2001. Directeur de développement du procédé Arkamys – qui équipe en son aujourd’hui encore de nombreuses voitures – Laurent Thibault se lance dans la création d’un laboratoire de recherche autour du son, du côté de Nantes. Un projet avorté, mais qui préside à son installation « un peu par hasard » sur Angers, une ville « magnifique, à taille humaine, dynamique, dont j’apprécie la douceur ». Il collabore à la Galerie sonore et fonde Le Château Studio in Angers, en 2014. Installé tout contre la prison, il y produit et enregistre des artistes, amateurs ou professionnels. C’est là qu’il fait vivre sa passion et construit, aussi patiemment qu’il le peut, son ambitieux projet. Bien au-delà des seuls murs du son.