Marie-Claude Rousseau, Attachée à la Mission Patrimoine de l’Université catholique de l’Ouest
Rescapé des camps nazis, Maurice de La Pintière (1920-2006), artiste chrétien, n’a cessé de témoigner dans ses œuvres de son expérience de déporté, d’en faire une relecture, en particulier à la lumière de l’Apocalypse. Les tapisseries Des Ténèbres à la Lumière dont il a réalisé les cartons de 1965 à 1995 – conservées à Angers depuis leur donation à l’Université Catholique de l’Ouest en 2003 – en sont un exemple majeur. Des Ténèbres à la Lumière ou l’itinéraire spirituel d’un témoin d’Apocalypse.
Né en Vendée en 1920, Maurice de La Pintière a été marqué à vie – on le serait à moins – par son expérience de déporté sous le régime nazi, de juin 1943 à avril 1945 : une expérience dont il ne cessera de témoigner jusqu’à son décès en 2006, par le dessin , la peinture, la réalisation de cartons de tapisseries. Parcourir son œuvre et plus particulièrement le cycle de quinze tapisseries intitulé Des Ténèbres à la Lumière – cycle largement inspiré de l’Apocalypse de Jean – c’est découvrir la souffrance et l’horreur vécues par une victime de la barbarie dans les camps de la mort mais aussi la foi et l’espérance, au cœur de l’épreuve, d’un artiste chrétien.
Son premier contact artistique avec l’Apocalypse avait eu lieu à Paris en 1961, lors de l’exposition au Musée d’Art moderne du livre de l’éditeur Joseph Foret sur l’Apocalypse.
C’était un livre énorme – exemplaire unique – conçu comme une œuvre d’art dont l’illustration avait été confiée à de grands artistes du moment : Dali, Foujita, Trémois, Zadkine, Georges Mathieu, Bernard Buffet… La Révélation (sens premier du mot « apocalypse ») faite à saint Jean à la fin du 1er siècle l’intéressait à plusieurs titres : en tant qu’artiste, en tant que chrétien, en tant qu’ancien déporté.
D’abord illustrateur pour la presse enfantine à sa sortie des camps, activité qu’il dut abandonner pour cause de maladie grave, c’est en particulier grâce à la tapisserie, sur les conseils de Jean Lurçat, qu’il put renouer avec la chaleur et les couleurs de la vie. Les cartons qu’il réalisa de 1965 à 1995, puisant pour la relecture de son expérience de déporté dans la richesse symbolique de l’Apocalypse, ont ainsi constitué au fil du temps une œuvre à part entière. Celle-ci est désormais conservée à Angers, depuis sa donation en 2003 à l’Université Catholique de l’Ouest, suite à des années de relations étroites avec cette dernière, notamment lors d’expositions de ses œuvres et de tables rondes sur la déportation organisées par le service culturel « Présence des Arts » dès 1988. Ce que l’on peut considérer comme « l’Apocalypse selon La Pintière » trouvait ainsi sa juste place à Angers, en compagnie dans cette ville de la prestigieuse tenture médiévale et de son contrepoint contemporain le Chant du Monde de Lurçat.
Un itinéraire spirituel
Dans l’une des pièces qui ouvrent le cycle Des Ténèbres à la Lumière (titre choisi par l’artiste lui-même) la lueur d’espérance, représentée comme une petite flamme dans la main du Déporté (fig. 1) s’épanouit en soleil éclatant et en étoiles radieuses au fil des tapisseries. En effet, des Quatre Cavaliers jusqu’à La Jérusalem céleste en passant, entre autres, par Le Triomphe de l’Agneau et Le Cavalier victorieux, c’est bien d’un itinéraire des ténèbres à la lumière qu’il s’agit dans cette œuvre monumentale – reflet, telle l’Apocalypse de Jean, des inquiétudes et des aspirations de « l’homme agrandi devant son terrible et lumineux destin . Itinéraire singulier que celui que propose ainsi La Pintière dans cette suite de tapisseries : profession de foi d’un témoin d’apocalypse qui le conduira jusqu’au pardon .
Dans le sillage de Jean, exilé à Patmos, son « frère » d’humanité « dans l’épreuve » (Ap 1,9), La Pintière est ce témoin visionnaire pour lequel le symbole est révélation d’un sens secret, épiphanie d’un mystère. Et si pour Lurçat une œuvre d’art est « un monceau de cicatrices », pour La Pintière l’art est bien ici, selon la formule de Georges Braque, « une blessure devenue lumière » et son œuvre, une nouvelle naissance.
L’itinéraire en quinze tapisseries de Maurice de La Pintière, ancien déporté
Pour aller plus loin
Pour un commentaire détaillé de ces tapisseries, voir :
- Marie-Claude Rousseau, Des Ténèbres à la Lumière, tapisseries de La Pintière (commentaires de Maurice de La Pintière et Marie-Claude Rousseau), éd. 2005 revue et augmentée, Angers, Éditions de l’UCO, sept. 2019.
- Marie-Claude Rousseau, Des ténèbres à la lumière. Dessins et tapisseries de Maurice de La Pintière : itinéraire d’un déporté, in Christianisme et Prison (dir. Olivier Landron), Ed Parole et Silence, 2013, p. 205-222.
- Site Mission patrimoine de l’UCO
Des visites commentées de ces tapisseries de La Pintière sont régulièrement organisées à l’Université Catholique de l’Ouest (Angers).
Renseignements :service.culturel@uco.fr, 02 41 81 66 77
Repères chronologiques
- 1920 : le 6 juillet, naissance de Maurice de La Pintière à Vouvant (Vendée).
- 1940 : admission à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris. Parallèlement à ses études, il poursuit clandestinement une série de gouaches sur l’actualité politique mondiale, caricatures corrosives contre l’occupant commencées dès 1939 qu’il achèvera à son retour de déportation.
- 1943 : entré en Résistance dans un réseau de l’École des Beaux-Arts, Maurice de La Pintière est arrêté le 23 juin alors qu’il tente de passer en Espagne pour rejoindre les Forces françaises Libres.
- 1943-45 : le 28 octobre 1943, il est déporté de Compiègne à Buchenwald où le matricule 31115 lui est affecté. Interné au camp de travail de Dora de novembre 1943 à début avril 1945, il est libéré le 15 avril à Bergen-Belsen. Dès sa libération il réalise en quelques mois une série de 35 lavis sur la vie dans le camp de Dora, la mangeuse d’hommes, pour témoigner.
- 1947 : illustrateur pour la presse enfantine (La Semaine de Suzette, Lisette, Bernadette, Pierrot, Hurrah, L’Intrépide, Cœurs vaillants, Âmes vaillantes, Fripounet…)
- 1950 : il épouse Christiane du Chazaud. De leur union naîtront deux fils.
- 1957 : il doit abandonner l’illustration pour raisons de santé consécutives à sa déportation.
- 1960 : il fait tisser sa première tapisserie. L’ensemble de son œuvre tissé se divise en deux périodes : la première est surtout animalière ; la seconde aborde des sujets tels que la vie, la mort, la liberté. Tout en restant figurative, son œuvre s’oriente vers plus de symbolisme.
- 1970 : nombreuses expositions en France et à l’étranger à partir des années 1970.
- 1990 : exposition à Angers de onze tapisseries du cycle Des Ténèbres à la Lumière dans le cadre de la semaine « L’Art et le Sacré » organisée par l’Université Catholique de l’Ouest. Exposition suivie de plusieurs autres à Angers à l’initiative de l’UCO, dont celle au Château (été 2000) .
- 2003 : donation à l’Université Catholique de l’Ouest des quinze tapisseries Des Ténèbres à la Lumière largement inspirées de l’Apocalypse de saint Jean (cartons réalisés de 1965 à 1995). Inauguration au Rectorat de l’Université, place André-Leroy, le 13 octobre.
- 2006 : Maurice de La Pintière décède, le 15 novembre, à Vouvant.
- 2016 : après rénovation des tapisseries à Paris (2013-14) et une deuxième exposition au Château d’Angers (Hommage à Maurice de La Pintière) en partenariat avec l’UCO en 2015, inauguration, le 28 avril 2016, de la nouvelle scénographie mise en place à l’UCO, bâtiment Jeanneteau, pour la présentation du cycle Des Ténèbres à la Lumière.